Troubles de la communication dans l’aphasie
L’aphasie se traduit par des déficits pouvant toucher tous les niveaux du langage (lexical, sémantique, phonologique, morphosyntaxique, pragmatique) sur les versants expressif et/ou réceptif. En conséquence, une altération de la communication verbale paraît inévitable en cas d’aphasie.
Les troubles réceptifs sont probablement ceux qui freinent le plus la communication verbale car ils empêchent la personne aphasique d’entrer en relation avec son interlocuteur. La communication n’est donc plus réciproque.
Par ailleurs, la personne aphasique et son entourage se sentent contraints d’éviter, voire d’interrompre des situations de communication en cours, de peur de générer des malentendus ou des incompréhensions.
Enfin, des troubles de la compréhension même minimes rendent souvent inaccessibles des formes de communication requérant un niveau d’intégration élevé (l’humour, la métaphore, l’implicite notamment) et peuvent exclure la personne aphasique d’un échange (Daviet et al., 2007).
Les troubles expressifs vont eux aussi fortement impacter la communication verbale. Les patients aphasiques ont des difficultés pour produire des énoncés fluents (troubles du débit, manque du mot, pauses, hésitations), intelligibles (paraphasies diverses) et cohérents (troubles syntaxiques) (Rousseaux et al., 2010), ce qui peut entraîner chez l’interlocuteur un sentiment de malaise, d’inconfort voire d’impatience.
Parfois, les interlocuteurs préfèrent s’adresser au conjoint et la personne aphasique assiste à sa propre exclusion de la situation de communication (Daviet et al., 2007).
La communication peut également être perturbée par des troubles pragmatiques. Les tours de parole ne sont plus respectés lorsque la personne aphasique préfère attendre les questions pour simplement y répondre par oui ou non. Son rôle est alors exclusivement passif. A l’inverse, un sujet aphasique logorrhéique peut totalement monopoliser la parole (Daviet et al., 2007).
Par ailleurs, Rousseaux et al. (2010) mettent en évidence d’autres difficultés, notamment pour apporter de nouvelles informations ou de nouveaux thèmes d’échange dans une conversation, ou encore pour organiser et adapter un discours à l’interlocuteur.
Pour finir, les personnes aphasiques peuvent avoir du mal à prendre en compte les feedbacks verbaux provenant de leur interlocuteur. Ainsi, les règles conversationnelles habituelles sont bouleversées.
Une altération de la communication non verbale peut être la conséquence de troubles prosodiques, ou encore de troubles associés à l’aphasie et fréquemment retrouvés en cas d’AVC.
Par exemple, une hémiplégie et une apraxie entraînent des difficultés à produire et à comprendre les gestes (Rousseaux et al., 2010). Les autres troubles associés (attentionnels, mnésiques, de l’humeur et du comportement) perturbent eux aussi la communication (Rousseaux et al., 2014b).
Nous allons maintenant étudier l’incidence importante de ces troubles de la communication sur la vie de la personne aphasique, mais aussi sur celle de son entourage.
Conséquences et retentissements
En modifiant la qualité des interactions avec les membres de sa famille, les troubles communicationnels ont en premier lieu un impact sur la vie familiale de la personne aphasique (North, 2007).
En effet, l’aphasie est un réel handicap partagé, au sens que les deux interlocuteurs en présence sont gênés par les troubles expressifs et/ou réceptifs, ce qui nécessite une adaptation constante de l’entourage (Joyeux, 2014).
De plus, en essayant de faciliter la communication, les membres de la famille adoptent parfois des conduites qui vont avoir l’effet inverse : parler trop fort ou trop lentement, parler à la place de la personne aphasique ou même l’inciter à ne pas prendre la parole (North, 2007).
Par ailleurs, il devient très difficile voire impossible pour la personne aphasique de suivre une conversation ou de donner son opinion, et avec la perte de la capacité à prendre des décisions, elle est enfermée dans un rôle très passif (Mazaux et al., 2014).
Enfin, des tendances à la surprotection sont parfois observées chez les conjoints des sujets aphasiques. Ces comportements n’ont pas toujours une incidence négative car la personne aphasique peut être vulnérable et avoir besoin d’un certain degré de protection. Mais une attitude d’assistance excessive peut fragiliser le couple, amener la personne aphasique à se sentir incompétente et ainsi réduire ses chances de s’engager dans une interaction sociale (Croteau & Le Dorze, 1999).
Les troubles aphasiques impactent de la même façon les interactions sociales et professionnelles. En effet, après la survenue de l’AVC, la personne aphasique a de moins en moins de contact avec ses amis, ses collègues ou ses voisins (Aström et al., 1992).
De plus, elle n’est plus motivée pour établir de nouvelles relations et est stressée face à des inconnus (Rousseaux et al., 2014b). Les loisirs sociaux, les activités de groupe et les sorties sont évités au profit de loisirs individuels ou nécessitant peu de capacités de communication verbale (Mazaux et al., 2014).
La reprise d’une activité professionnelle après un AVC n’est pas toujours possible et renforce ainsi l’isolement du sujet aphasique. Même dans le cas d’un temps partiel et/ou avec une adaptation du poste de travail, la reprise professionnelle peut mettre brutalement la personne aphasique face à ses difficultés, par exemple lors de discussions à plusieurs (Pradat-Diehl et al., 2007).
Ainsi, « l’aphasie est source d’incapacités dans la vie quotidienne, de restrictions de participation à la vie citoyenne et sociale, d’isolement, de repli sur soi, de frustration, et souvent de dépression » (Mazaux et al., 2007 : V).
Effectivement, les troubles dépressifs sont fréquemment retrouvés après la survenue d’un AVC. Kauhanen et al. (1999) retrouvent un syndrome dépressif chez 53% des patients 3 mois après l’AVC et chez 42% d’entre eux un an après l’AVC.
L’existence d’une aphasie et de troubles associés (troubles attentionnels et mnésiques notamment) augmente les risques de présenter un syndrome de dépression majeur, diagnostiqué chez 9% des patients 3 mois après la survenue de l’AVC, et chez 16% d’entre eux un an après l’AVC.
Les troubles communicationnels s’incluent donc dans un cercle vicieux car ils aggravent l’isolement, la rupture des liens sociaux et par conséquent alimentent la dépression (Benaim et al., 2007) . Enfin, Aström et al. (1992) ont évalué la qualité de vie globale des personnes après un AVC.
Elle s’avère très faible après la survenue de l’AVC, et les plus mécontents sont les personnes les plus âgées et les plus dépendantes, mais aussi celles qui ont le moins de contacts familiaux (elles vivent seules) et sociaux, et chez qui un syndrome dépressif a été diagnostiqué. Il existe donc une forte corrélation entre qualité de vie et relations sociales.
En raison de variations inter-individuelles (habitudes de vie et organisation familiale avant la survenue de l’AVC par exemple) et selon le type et la sévérité de l’aphasie, l’ensemble des symptômes décrits précédemment n’est pas retrouvé chez tous les sujets aphasiques. Mais l’aphasie reste une « catastrophe fonctionnelle, psychologique et sociale pour le patient comme pour sa famille » (Daviet et al., 2007 : 76).
GONG est une application de communication pour les personnes ayant un trouble du langage, plus d’informations : ici
Ces rappels théoriques sont tirés du Mémoire :
“UNE COMMUNICATION ALTERNATIVE SUR TABLETTE TACTILE POUR LES PATIENTS APHASIQUES NON FLUENTS : ETUDE ET FAISABILITE”Soutenu par Louise Lange en 2014/2015, École d’orthophonie de Tours -Université François Rabelais.
Cet article est un rappel du socle théorique de la formation en ligne :
“Approche écologique de la réadaptation du langage chez l’aphasique”Disponible : ici